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La question des restitutions par la France d’œuvres d’art africain

Jeudi 14 octobre, un militant congolais a été condamné à 1000 euros d’amende pour avoir tenté en juin de dérober un poteau funéraire au musée du Quai Branly. La raison de cette opération éminemment politique: dénoncer le pillage des œuvres africaines durant la colonisation, et récupérer ce qu’ils estiment leur appartenir. Cette opération replace au cœur de l’actualité l’épineuse question de la restitution des biens culturels à l’Afrique.

Le 15 juillet 2020, le Conseil des ministres présentait un projet de loi portant sur la restitution d’œuvres d’art africain vers leurs pays d’origine, pays dans lesquels elles avaient été prélevées à l’occasion de différentes campagnes militaires. Ce projet de loi marque une avancée concrète dans la droite lignée du discours qu’avait prononcé le Président Macron à Ouagadougou en 2017, à l’occasion duquel il s’était engagé à « restituer de manière temporaire ou définitive le patrimoine africain dici cinq ans ». Le projet de loi prévoit la restitution des éléments majeurs du patrimoine culturel africain présents dans les collections muséales françaises, parmi lesquels 26 œuvres qui constituent le trésor de Béhanzin au Bénin. Ces œuvres, actuellement conservées au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, seront exposées dans des lieux publics au Bénin. L’historienne de l’art d’origine béninoise, Marie-Cécile Zinsou, s’est félicitée sur l’antenne de France 24 de cette annonce : « C’est un moment historique pour la jeunesse béninoise et africaine en général (…). On quitte le stade des paroles et on entre dans la législation.” L’occasion de revenir sur les différentes difficultés posées et surmontées par la question des restitutions.

Le rapport Savoy-Sarr, première avancée en la matière

Dans la foulée de son discours à Ouagadougou, le Président Macron a nommé deux  universitaires et historiennes de la culture pour réaliser un rapport sur la question de la restitution du patrimoine africain. Le rapport Savoy-Sarr, intitulé « Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle » a ainsi été remis au Président en novembre 2018. Selon ce rapport, au moins 90.000 objets d’art d’Afrique subsaharienne seraient dans les collections publiques françaises, dont 70.000 dans les collections du Musée du Quai Branly Jacques Chirac. Le rapport constate en ce sens que “la quasi-totalité du patrimoine matériel des pays dAfrique situés au sud du Sahara se trouve conservée hors du continent africain”. Il préconise un retour de ces œuvres dans les pays dont elles sont issues. Cette recommandation provoqua une vaste polémique dans les milieux politique et artistique. Le rapport soulève en effet plusieurs difficultés et obstacles, tant au regard du droit français, que dans sa mise en œuvre pratique.

La question des restitutions se heurte à plusieurs difficultés pratiques, le rapport ayant soulevé une polémique autour de la conservation des œuvres d’art sur le continent africain. Ses opposants soulignent en effet le manque d’infrastructures disponibles en Afrique pour y accueillir les œuvres rapatriées. Pour l’ancien président du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin, il faut aider à la rénovation d’un certain nombre de musées. Il estime qu’il vaut mieux parler de “circulation” des oeuvres et de “partage, passant par des prêts, des dépôts”, plutôt que de “restitutions massives”. Béatrice Savoy, co-rédactrice du rapport Savoy-Sarr, a réagi  quant à elle en affirmant qu’il existe en Afrique subsaharienne environ 500 musées de qualités différentes, susceptibles d’accueillir ces œuvres. Le ministre béninois s’étonnait quant à lui de devoir “justifier les conditions dans lesquelles les pays vont conserver ce qui leur appartient”. Le risque sous-jacent, derrière l’argument pratique de la mise en œuvre des restitutions, est économique : des départements museaux entiers risquent d’être vidés par le retour de ces biens dans leur pays d’origine, impactant négativement le tourisme muséal en France.

Les obstacles juridiques à la restitution

Une telle recommandation de restitution se heurte surtout à la loi française, dont le Code du patrimoine dispose que les collections muséales françaises appartenant au domaine public sont inaliénables. L’article L.451-5 du code du patrimoine énonce en effet que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». Cela signifie qu’aucun objet ne peut être retiré de ses collections sans une modification de son cadre juridique. Ce principe très protecteur des collections publiques s’oppose en lui-même à tout principe de restitution. Toute la difficulté porte donc sur la recherche d’un compromis entre ces deux intérêts divergents, l’inaliénabilité d’un côté et le principe des restitutions de l’autre.

Une procédure prévue par le code du patrimoine qui permettrait de contourner le principe d’inaliénabilité consisterait à déclasser le bien culturel. La procédure de déclassement  administrative consiste à faire sortir le bien du domaine public. Pour cela, l’autorité administrative fait valoir que le bien n’est plus affecté en fait à la destination d’intérêt général qui était la sienne, c’est-à-dire, en matière de bien culturel, qu’il aurait perdu un intérêt public au regard de son histoire, de l’art, de l’archéologie. Étant donné toute la valeur des trésors africains à restituer, le déclassement par voie administrative semble inadapté.

Une autre possibilité, que le projet de loi soumis en juillet au Conseil des ministres semble adopter, consiste à déroger au principe d’inaliénabilité par l’édiction d’une loi. Les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité n’ayant pas reçu de consécration constitutionnelle, il demeure possible, sans encourir la censure du Conseil constitutionnel, d’y déroger de manière exceptionnelle. En ce sens, le législateur est déjà intervenu à deux reprises pour déclasser des biens culturels dans le cadre de restitutions : en 2002 afin de rendre une dépouille mortelle de la “Vénus hottentote” à l’Afrique du Sud, et en 2010 pour restituer des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

La démarche est la même ici, la loi particulière proposée disposant en son article premier que que les vingt-six œuvres précitées « cessent de faire partie » des collections nationales à compter de sa date d’entrée en vigueur. Cette sortie des collections se traduira par un arrêté de radiation des vingt-six œuvres listées en annexe de l’inventaire du musée du Quai Branly. Afin de bien souligner le fait que cette sortie exceptionnelle des collections ne remet pas en cause le principe d’inaliénabilité, la commission a adopté un amendement, à l’initiative de Mme Constance Le Grip, précisant que cette sortie se fait « par dérogation au principe dinaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à larticle L. 451‑5 du code du patrimoine ».

Par Julie Raignault et Marina Bessières

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