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Apport-cession (150-0 B du CGI) : précisions sur la condition de réinvestissement à caractère économique en cas de location meublée

Dans une décision (CE, 3ème et 8ème., 19/04/2022, n° 442946), le Conseil d’Etat est venu préciser qu’en matière d’apport-cession réalisé sous l’ancien régime du sursis d’imposition (article 150-0 B du CGI) que la condition de réinvestissement à caractère économique ne peut être regardée comme remplie lorsque le réinvestissement porte sur une activité de loueur en meublé, sauf si cette activité de location est effectuée par le propriétaire dans les conditions de la para-hôtellerie, ou si cette exploitation implique pour lui, qu’il en assure directement la gestion et nécessite la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains.

Pour rappel, l’article 150-0 B du CGI prévoit qu’en cas d’apport de titres par un contribuable à une société soumise à l’IS, la plus-value d’apport éventuellement constatée était mise en sursis d’imposition. Une jurisprudence constante a considéré que la cession immédiate par la holding des titres ainsi reçus était susceptible de remettre en cause le sursis d’imposition sauf à ce que une proportion significative du produit de cession des titres apportés soit réinvestie à bref délai dans des activités économiques.

En l’espèce, en date du 22/10/2010, M. B a apporté à la société Financière B, dont il est l’unique associé, l’intégralité de sa participation dans la société I, estimée à 1m€. Cette opération a été placée sous le régime du sursis d’imposition conformément aux dispositions de l’article 150-0 B du CGI.

Le 11/11/2010, la société Financière B a revendu les titres de la société I pour leur valeur d’apport.

En 2017, elle a réinvesti le prix de cession dans l’acquisition d’immeubles destinés à être loués meublés.

Suite à cette cession, l’Administration a mis en œuvre la procédure de répression de l’abus de droit en considérant que M. B avait abusivement bénéficié du mécanisme du sursis d’imposition et a imposé la plus-value réalisée par ce dernier lors de l’opération de l’apport de titres (et lui a appliqué des majorations de l’ordre de 80%).

M. B a saisi le tribunal administratif de Lyon en décharge des impositions ainsi mises à sa charge. Par un jugement du 31/07/2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. M. B a alors interjeté appel devant la cour d’appel administrative de Lyon qui a, dans un arrêt du 18/06/2020, confirmé la décision du tribunal administratif de Lyon. M. B s’est alors pourvu en cassation. Le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi aux motifs suivants :

  • Confirmant la position de la juridiction d’appel, le Conseil d’Etat a considéré que l’investissement finalement effectué en 2017 n’était pas intervenu à bref délai après l’apport des titres ;

 

  • Si l’acquisition d’immeubles en vue d’exercer une activité de loueur en meublé relève bien de la catégorie des BIC et donc d’une activité commerciale, elle doit être regardée comme un investissement patrimonial et ne peut donc être qualifiée de réinvestissement à caractère économique, conformément à la position du CADF[1]. Le conseil d’Etat vient cependant nuancer en indiquant que si les locations s’exercent dans des « conditions conduisant [le propriétaire] à fournir une prestation d’hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu’il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains», ce réinvestissement répondrait à la notion d’activité économique.

 

  • La première dérogation vise la para-hôtellerie mais la rédaction de la décision semble laisser penser que les prestations para-hôtelières devraient être effectivement rendues (et non pas simplement proposées) directement par le contribuable et non pas par une société de gestion spécialisée.

 

  • La seconde dérogation vise les loueurs en meublés professionnels mais semble plus exigeante que les conditions prévues par l’article 155, IV du CGI (visant la notion d’exercice à titre professionnel). Le Conseil d’Etat exige en effet, que le contribuable assure directement la gestion et que cette dernière nécessite la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains. L’activité doit donc porter sur un nombre important de biens permettant d’occuper le propriétaire et des salariés à temps plein.

Nous pensons que cette décision rendue pour les opérations de l’article 150-0 B du CGI devrait être transposable à l’article 150-0 B ter du CGI. Le réinvestissement dans une activité économique devrait donc concerner (i) l’activité de para-hôtellerie ou (ii) la location meublée professionnelle à la condition que le propriétaire en assure la gestion et qu’elle nécessite la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains.

Compte tenu de l’absence de précision concernant ce dernier critère, cette modalité de réinvestissement appelle à la plus grande prudence.

[1] Avis CADF 2012-51 du 14-12-2013 et 2016-10 du 19-01-2017

 

Joris Leclercq et Marianne Grignard-Gardner